mardi 28 octobre 2014

C'est la France qui se zemmourise

Ainsi Zemmour…

depuis que son livre a paru, caracole loin en tête des meilleures ventes en France. Et nul, parmi ses singes, pour s’étonner de voir cet opposant farouche à la « pensée unique » devenir l’unique « penseur » que la France lise encore. (Le préférant même à ses Prix Nobel !)

« Wandering Willie’s Tale’ de “Redgauntlet” : voilà une splendide histoire, et bien trop bonne pour qu’on néglige aujourd’hui de la mentionner ; aujourd’hui où tout le monde kolbenheyerise et thoraxise (ou plus exactement médiocricise !) »


— Arno Schmidt, Scènes de la vie d’un faune, 1953 (Tristram, 2011)

jeudi 2 octobre 2014

Terminus radieux

Terminus radieux
d’Antoine Volodine


Mort ou vivant, peu importe

Il n’est pas surprenant, lorsque l’on lit un roman de Volodine, que les personnages meurent bien avant la fin de leur histoire. Ici, dans Terminus radieux, dès la toute première page, « la mourante gémit », et quoique ses compagnons lui recommandent de ne pas s’en faire, on comprend bien que ça sent le roussi. D’ailleurs, deux pages plus loin, c’est tout le petit groupe qui s’inquiète : « Ils continuaient à avancer, mais, quand ils s’allongeaient par terre pour la nuit, ils se demandaient s’ils n’étaient pas déjà morts. Ils se demandaient cela sans plaisanter. Ils n’avaient pas les éléments pour répondre. » Nous non plus, du reste. Mais ce genre de phénomène n’a jamais beaucoup d’importance dans l’univers post-exotique ; au final cela ne change pas grand-chose. Qu’il soit mort ou vivant, Elli Kronauer n’en finira pas moins par aller chercher de l’eau et, après être tombé nez à nez sur Samiya Schmidt dans la taïga, par arriver au kolkhoze Terminus radieux ; qu’il soit mort ou vivant, Iliouchenko, le deuxième compagnon de la mourante, n’en arpentera pas moins la steppe à bord d’un train rempli d’autres morts et/ou vivants à la recherche d’un camp où vivre un idéal collectiviste et concentrationnaire. La mort, chez Volodine, a si peu d’importance qu’un des habitants du kolkhoze est « fréquemment victime de ce que la sagesse populaire appelle le décès » sans que ça ne l’empêche pour autant de vivre sa vie de liquidateur. 

On retrouve donc, dans ce dernier ouvrage post-exotique, certains éléments familiers. Quand s’ouvre le roman, l’Orbise vient de tomber, et avec elle, les derniers bastions de résistance de la deuxième Union Soviétique. Depuis que le monde est retombé sous le joug des barbares capitalistes, Kronauer, Iliouchenko et Vassilissa Marachvili, ayant échappé aux massacres, errent dans les plaines sibériennes irradiées qu’une série d’accidents nucléaires a rendues totalement inhabitables. Ils s’inscrivent tous les trois dans la lignées des personnages post-exotiques : ils sont vaincus et au bout du rouleau, des Untermenschen, et dans l’attente d’être morts — à moins, donc, qu’ils ne le soient déjà ; ce qui finalement ne change pas grand-chose —, ils errent dans un monde lui aussi tout à fait typique du post-exotisme.

Un mot à son propos. Ce qui m’avait d’abord séduit, lorsque dans Avec les moines soldats de Lutz Bassmann, je découvrais sur le tard l’univers post-exotique, ç’avait été ce décor de côte sur laquelle s’était rassemblé ce qui restait de l’humanité. Or, j’entendais tout récemment Volodine déclarer qu’il avait pour volonté, dans son processus créatif, de produire des images. Il y réussit à nouveau grâce à cette steppe immense et dévastée où l’homme n’a plus sa place, à cette taïga dans laquelle il se perd pour l’éternité et à ces trains forcément blindés qui « vers le milieu de la matinée, [stoppent] en pleine terre de nulle part ». Volodine ne nie pas l’influence du cinéma russe et dans son Terminus radieux, il nous transporte dans une sorte de « Zone » à la Stalker où l’homme ne doit pas pénétrer, mais où s’il y pénètre, les rêves deviennent possibles.

Lui ou moi, peu importe

Or, de rêves, il en sera question, dans Terminus radieux, car dès qu’on entre dans la taïga, et plus encore au kolkhoze Terminus radieux, « on est avant tout rêvé par Solovieï ». Solovieï, c’est le président du kolkhoze où il réside en compagnie de ses trois filles qui le haïssent, de sa femme la Mémé Oudgoul, bien partie pour être immortelle et qui parle à pile nucléaire pour l’apaiser, et de quelques autres personnages immortels ou déjà morts qui comptent à peu près pour quantité négligeable et qui sont principalement chargés de nourrir cette même pile, enfouie deux kilomètres plus bas, avec des objets qui ne servent plus, comme des moissonneuses-batteuses ou des institutrices. Solovieï, dans un roman contemporain, dans un roman qui se déroulerait avant la chute de la deuxième URSS, ce serait une sorte de super-méchant contre lequel un pauvre soldat loqueteux comme Kronauer n’aurait pas beaucoup de chances, mais qu’au terme d’un insoutenable suspense, il déferait peut-être.

Mais Solovieï dans un roman post-exotique, il est un puissant thaumaturge et il est peut-être surtout le dernier écrivain post-exotique qui, condamné à être immortel, se raconte des histoires et s’invente maîtresses et ennemis en attendant d’être mort — à moins que… vous savez bien — ; il est peut-être même Volodine lui-même, qui écrit cette histoire et nous transmet depuis si longtemps la voix des écrivains post-exotiques — Lutz Bassmann, Maria Soudaïeva, Manuela Draeger, pour ceux que l’on peut lire ; Maria Kwoll, Linda Woo, Hannko Vogoulian ou Solovieï lui-même parmi les nombreux dont les textes ne sont qu’évoqués dans les livres des autres — qui ne nous parvient qu’à travers lui. Des écrivains post-exotiques auxquels il rendait hommage dans son dernier ouvrage (avant-dernier, maintenant), sobrement intitulé Ecrivains et aussi paru au Seuil. Or, parmi ces écrivains, il en est un justement qui s’appelle Elli Kronauer, un « homonyme » de notre héros, qui avait publié chez L’école des loisirs un petit texte reprenant la byline russe du rossignol brigand. Or, « rossignol », c’est « solovieï » en russe. Coïncidence heureuse et qui constitue un prétexte pour se (re)plonger dans l’univers post-exotique ! Terminus radieux, avec une narration plus conventionnelle qu’à l’accoutumée et son atmosphère envoûtante, est par ailleurs une très bonne porte d’entrée.