mercredi 16 avril 2014

Mais vous êtes fou !?

« [On] s’entête à y répéter que le problème songe-réalité naît au moment où d’autres ‘moi’ nous informent que pendant notre sommeil ont lieu des choses comparables à celles qui arrivent lorsque nous sommes éveillés et que celles-ci nous échappent.

(…) Les autres ‘moi’ sont étrangers à mes songes tout comme je le suis à ce qu’ils ont contemplé dans le monde pendant que je dormais. Pendant que je rêvais, j’ai pris autant de plaisir qu’eux à exister. Ce qu’ils me diront me les révèlera très informés de ce que je n’ai pas vu mais complètement ignorants de ce que j’ai vécu et perçu en ‘rêvant’. Dans mon rêve, il y avait de nombreuses autres personnes avec moi : elles remuaient et agissaient de telle façon qu’il était évident qu’elles percevaient la même chose que moi. J’ai perçu et entendu aussi nettement les personnes de mon supposé songe que je perçois maintenant celles qui me disent que ces personnes n’ont pas existé.

A partir de là, je suis amené à les mettre les uns et les autres dans le même sac, à nier qu’ils existent en tant que sensibilités extérieures à la mienne, à nier qu’il existe quelque chose qui me serait extérieur et même à nier — ce qui est plus esthétique que mystique — le principe selon lequel n’existe pleinement que ce qui est extérieur. Pour justifier cette position, il me suffit de déclarer ceci : ‘Au moment où ces personnes m’ont dit que je venais de me réveiller et que j’étais resté plusieurs heures sans rien voir ni savoir de ce monde qu’elles n’ont pas cessé, elles, de voir, j’étais en fait toujours en train de rêver : je vivais pleinement et je continuais à être l’unique moi pensant et sentant. Dans mon rêve, j’imaginais ces personnes niant grotesquement mon existence d’hier soir, alors qu’elles n’existent que lorsque je les rêve, comme maintenant.’ Qu’on apprécie le peu de liberté d’action que je laisse à ces personnes qui veulent affaiblir mes songes, réduire la plénitude de ma vie et faire vaciller ma conviction que le monde cesse d’exister quand je ne le perçois pas. »

— Macedonio Fernández, Tout n’est pas veille lorsqu’on a les yeux ouverts, Rivage, pp. 88-90.


Rarement on s’est autant amusé à faire de la métaphysique qu’en compagnie de Macedonio Fernández, dont je vous reparlerai dès que j’aurai terminé la lecture de ce formidable petit livre, malheureusement presque introuvable. Sa thèse paraît si improbable (« Le songe et la réalité sont pleinement et également réels » ; « Rien n’existe en-dehors de la sensibilité ») qu’on ne sait s’il faut la prendre au sérieux ; et pourtant, elle est imparable. 


Un livre à lire toutes affaires cessantes !


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