dimanche 8 décembre 2013

Ode à Javier Pastore

Ode à Javier Pastore

« Je ne suis ni prophète, ni fils de prophète ; mais je suis berger, et je cultive les sycomores » (Amos 7:14) - Javier Pastore n’est pas ce que l’on eût voulu qu’il fût ; aimons-le pour ce qu’il est.


Premier recrutement notable du nouveau PSG, l’Argentin, arrivé en échange d’un montant qu’il n’est pas besoin de rappeler, devait être à la base du projet qatari pour le club parisien ; il n’en fut qu’un rouage. Et encore. Une pièce dont, parfois, on semble ne trop savoir que faire. Brinquebalé en soutien de l’attaquant, sur le flanc gauche ou au centre d’un milieu à trois dans une fonction hybride entre regista à la Pirlo et pointe haute du trident, il a durant deux mois ébloui ; et puis il a déçu. A l’heure où les rumeurs de départ se font de plus en plus insistantes, où la méforme du joueur justifie que son entraîneur ne prenne pas le risque de redessiner un système qui fonctionne pour lui permettre d’évoluer à son poste de prédilection, où la confiance semble en berne et le plaisir absent, il est presque trop tard pour plaider pour la réhabilitation à Paris du « 10 à l’ancienne », du trequartista qui fait rêver les gosses et a donné au football ses plus belles figures. Contentons-nous simplement d’adresser à un génie incompris une ode bien modeste, comme un encouragement s’il reste, un hommage s’il part, et en tout état de cause une réponse aux sifflets odieux que lui adresse un Parc qui semble parfois oublier ses couleurs.

« [U]n cheval de course génial », ou du génie dans le football

Dans L’homme sans qualités, Robert Musil s’amuse qu’un cheval de course puisse être qualifié de génial. Jouant de cet évident abus de langage, il médite par l’entremise d’Ulrich, son héros, sur les différentes conceptions du terme : le génie « à l’ancienne » (comme le numéro 10) qui fait valoir son esprit créatif ; et le génie « mécanique » dont Musil note non sans ironie que ceux qui en sont dotés possèdent l’ « avantage sur un grand esprit, que leurs exploits et leur importance peuvent se mesurer sans contestation possible et que le meilleur d’entre eux est véritablement reconnu comme tel ». Pareille dichotomie justifie également qu’un artificier et Mozart soient tous deux officiers du génie : l’un maîtrise la physique, l’autre l’esprit. Ergo, peut-être, la confusion d’une frange du public du Parc des Princes.

Pastore est sans doute un génie, mais pas celui que l’on pense. Ses spécificités ne relèvent pas de la performance. Si l’on ne craignait pas de tomber dans quelque lieu commun, on ferait volontiers de lui un artiste. Mais s’il semble que les terrains de sport soient devenus à l’instar des ateliers et des salles de concert, des lieux dans lesquels le génie se révèle, encore faut-il savoir duquel on parle et remettre chacun sa place : Ibra n’a pas sa place au Louvre, ni plus qu’on irait Porte de Saint Cloud pour voir jouer des peintres. Et pourtant : les nouveaux supporters parisiens appuieraient en nombre la première proposition tandis que les anciens peuvent témoigner que la seconde est fausse. Javier Pastore établit quant à lui un lien entre ces deux publics, et marque ainsi à sa manière la continuité de l’histoire du club parisien.

Pour l’amour des Esclaves

Pour illustrer mon propos, je pourrais affirmer que si Ibra m’impressionne, Pastore, lui, m’émeut. Ibra me subjugue à la manière d’une locomotive, d’une navette spatiale ou d’un télescope astronomique. Semaine après semaine, je m’ébahis devant ses performances. Nul doute, il y a en cet homme du génie. Mais c’est un génie froid, une perfection mécanique, une précision d’horloger, une industrie de pointe qui produit des prouesses remarquables. Mais Ibra, au final, ne réussit que ce qu’il sait pouvoir faire, il entreprend ce pour quoi il a été créé ; Pastore, quant à lui, tente ce qu’il voudrait réussir. Ce n’est que lorsqu’il y parvient que l’on touche au sublime et à la liberté, à ces idées que l’on n’associe qu’à l’autre forme de génie. Cortazar écrivait : “Le génie c'est se parier génial et tomber juste” ; chaque semaine, Pastore témoigne de la justesse de vue de son compatriote. 

Mais pour une réussite criante, combien de ratés le second génie doit-il essuyer ? Pour une phrase d’Ulysse combien de brouillons jetait Joyce ? L’échec est une condition du génie. C’est pourquoi l’oeuvre de Pastore s’apparente plutôt à une suite de notes de piano dissonantes au milieu desquelles peut surgir tout à coup un accord fabuleux : ainsi, contre Lyon, entre deux passes en touche surgit une ouverture lumineuse pour Thomas Edinson Cavani. Contempler, à Florence, les Esclaves de Michelangelo, c’est être le témoin d’autant de passes trop longues synonymes d’une trop vaste ambition : pour un David, quatre Esclaves engoncés dans leurs pierres. Mais comme il est beau et touchant de voir ces quatre êtres de pierre se débattre dans leurs blocs de marbre et tenter de s’en extraire comme un ballon entre les jambes d’une défense resserrée.

Qu’on considère les symphonies de Mozart et les livres de Joyce comme des compilations mises en ligne sur YouTube et l’on appréciera la chance que l’on a de pouvoir chaque semaine voir évoluer un tel joueur sous nos yeux. Malheureusement, le football ne permet pas de jeter les brouillons afin de ne conserver que le mouvement parfait. Sur Facebook, étalon à l’aune duquel se mesurent aujourd’hui les exploits des grands hommes, on voit que le public préfère la froide réussite de Zlatan aux tentatives émues de Javier. Quant à moi, j’aime mieux les Esclaves que David.

Prophète en son pays

C’est avec tristesse que je me range aujourd’hui à l’évidence : Paris, mon club de coeur, n’est pas un club d’artistes. On y compte des génies mais qu’un du second ordre et il est conspué. C’est que Paris est ambitieux et Pastore, lui, ne s’occupe pas de gagner : ce n’est pas pour gagner que l’on se fait artiste. Il n’en reste pas moins que le public parisien se trompe lorsqu’il siffle l’artiste qui s’essaye à son art. Il montre ce faisant la même ignorance crasse de consommateur de produit que l’amateur de disque qui hue en concert le pianiste dont le doigt dérape durant l’exécution d’un passage difficile. Encourageons au contraire la tentative et l’erreur car sans échec, je le martèle, il n’est pas de génie !

L’Océan Atlantique, en un sens, joue vis-à-vis de l’Italie le rôle du périph’ à Paris : sur l’autre versant, la province. Ainsi, l’Argentine est à la Botte ce que la France est à la Capitale : une sorte de long prolongement, dénué du sens péjoratif que l’on prête à ce terme, une unité de culture que seule nie une manière différente de la vivre. Pourquoi tenir ici un langage teinté d’impérialisme ? Seulement pour contourner la difficulté qui consiste à établir que l’Italie est le pays de l’Argentin. S’il échoue à Paris, pourvu qu’il échoue à Rome ! Et que sous l’influence du plus flamboyant « 10 » de sa génération, le talentueux musicien dirige à nouveau son orchestre. Alors, ma joie de le voir à nouveau resplendir éteindra ma tristesse de l’avoir vu partir.



5 commentaires:

  1. très bon article etienne pay (abbey road)

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  2. Tout est dit, décrit, démontré...

    Là où certains triomphent en bombant le torse pour la foule, Javier Pastore continue d'offrir son profond talent au jeu... Il ne veut pas réussir, Javier, il cherche juste à accomplir son chemin... Il n'est professionnel du ballon que par la force des choses, peu lui importe d'être en haut du tableau des accesits, sa victoire n'a de sens que dans son coeur et dans le coeur de celui qui ne l'observe pas mais le regarde...

    Javier Pastore, comme tous ceux qui aiment et comprennent Javier Pastore, n'ont cure de ses buts ou de ses passes réussies, ce qui compte, pour lui, pour eux, c'est l'invention, la légèreté, l'élégance qu'il met dans chacun de ses gestes.... Et aussi, effectivement, l'erreur qu'il laisse entrevoir dans chacune de ses tentatives quand le ballon lui échoit... On n'attend pas qu'il réussisse mais qu'il éclaire.

    Javier Pastore est pourtant bien un footballeur professionnel et donc, de ce fait et comme pour tous ceux qui publiquement ne sont pas toujours dans "l'air du moment", il est souvent exposé aux jugements rapides et sans concessions des fans impatients, mais qu'importe, il pourrait être peintre ou musicien, funambuliste ou poète, on ne consomme pas du Javier Pastore, on le déguste...

    Pastore n'est pas footballeur professionnel en fait, il est un joueur de football différent de beaucoup de bons petits pros du ballon qui ne ratent pas grande chose puisqu'ils ne tentent rien...

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  3. L'article est louable, et Pastore mérite un hommage, mais malheureusement beaucoup de choses écrites ne sont pas justes.
    La comparaison avec Zlatan est très mal venue car Zlatan n'a rien d'une machine, et a été pendant longtemps presque aussi irrégulier que Pastore, alternant le génial et le mauvais, les gestes d'artistes et les passes ratées à 2m. Zlatan tente, presque constamment, mais il est sûr de sa force, plus mature, et c'est ça fait une belle différence.
    Il est de plus faux d'écrire que Pastore doit essuyer plusieurs échecs pour réussir, et qu'il doit donc rater dix passes pour en réussir une de classe. Pastore à l'aise, concentré et libéré rate très peu de choses, des gestes les plus simples aux plus difficiles. C'est avant tout un problème de confiance, de laisser aller et de plaisir qu'il y a chez Pastore. Mais aussi un problème d'espaces, de liberté, et en L1, Pastore est pressé de trop près, pas assez libre de ses mouvements, pour un jeu qui lui est trop lent pour ses éclairs de génie

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  4. http://lamadjer.fr/lusage-abusif-du-romantisme-football/

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  5. @Bernard : Merci pour le lien. J'avais lu l'article de La Madjer que je suppose avoir été écrit en réponse à celui-ci. Je regrette un peu les attaques faciles (citations de "philosophes (sic - pour information, ni Cortazar, ni Musil n'en sont) pêchées sur evene.fr", confusion des sentiments qui fait voir de l'amour là où il n'y a qu'un plaisir à voir jouer au profil atypique et la faiblesse de lui reconnaître un peu de talent), mais sur le fond, je ne suis pas forcément en désaccord avec eux : faire l'éloge d'un type comme Pastore n'est sûrement pas en adéquation avec les enjeux du foot moderne (je le reconnais d'ailleurs à demi-mots dans l'article). Après, La Madjer est un blog de foot, celui-ci, un modeste blog à orientation littéraire : on ne s'étonnera donc pas que le contenu ne soit pas le même. Et je serai d'ailleurs bien content lorsque les articles sur les livres de Minard ou de Joyce auront de visites que celui-ci ! Le titre de l'article l'indique, c'est une "ode", forcément exaltée, en aucun cas un billet de fond, une analyse tactique sur l'apport de Pastore au PSG (dont je reconnais qu'il se porte très bien sans lui dans le premier paragraphe). Bref, si on parle foot "bête et méchant", La Madjer a raison ; notre désaccord principal semble plutôt concerner le traitement qu'on doit faire d'un article sur un joueur de foot. Je pense qu'on peut parfois lever les yeux du tableau noir pour rêver un petit peu, quitte à mélanger les genres.

    @Anonyme de 15:45, je ne prétends pas être le plus grand connaisseur d'Ibra avant le PSG (quoique suivant d'assez près la Roma, j'avais vaguement entendu son nom en Serie A...), mais il me semble qu'il n'a jamais été aussi irrégulier que Pastore, et d'un point de vue athlétique, c'est quand même un autre genre de machine... Quant à Pastore, je ne dis pas qu'il doit rater 10 passes pour en réussir une, mais seulement que la prise de risque qui fait partie intégrante de son jeu produit pas mal de déchet. Même quand il était en forme, il perdait beaucoup de ballons ; seulement, il réussissait aussi de véritables coups de génie pour compenser.

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