lundi 2 septembre 2013

Danse avec Nathan Golshem


Danse avec Nathan Golshem
de Lutz Bassmann

Transhumances

On l’avait déjà pressenti dans Les aigles puent, la chose est maintenant avérée : Lutz Bassman écrit des romans d’amour.

Nathan Golshem était un combattant, et même un des combattants les plus valeureux parmi les üntermensch, ces perdants de la lutte des classes et de toutes les guerres qui en sont réduits à vivre dans des ghettos, sans autre espoir que de se battre jusqu’à une mort vaine.

Nathan Golshem était l’un d’entre eux. Comme eux, il s’est battu ; comme eux, il a été capturé par l’ennemi ; comme eux, il a été abattu et abandonné sur le rivage au beau milieu d’une décharge d’ordures. Ses camarades n’ont pas retrouvé sa dépouille, alors ils ont pris quelques détritus, quelques os de chien, et les ont enterrés pour offrir une tombe à l’âme de Nathan Golshem.

Depuis la mort de Nathan Golshem, tous les ans, Djennifer Goranitzé se rend sur sa tombe quand arrive la première lune de l’automne. Là, après un voyage dangereux et éprouvant, elle construit une tente et elle danse. Elle danse jusqu’au sang, jusqu’à épuisement. Surtout, elle danse jusqu’à ce qu’à la faveur de la nuit, Nathan Golshem la rejoigne sous la tente pour qu’ensemble, l’un contre l’autre, ils rient et évoquent leurs camarades et continuent tout simplement de s’aimer pendant quelques lunes jusqu’à ce que Djennifer Goranitzé doive repartir en promettant de revenir l’année suivante, à moins qu’elle ne rejoigne Nathan Golshem d’une autre façon.

Acculturation

Le monde que Nathan Golshem et Djennifer Goranitzé évoquent entre deux danses est bien connu de ceux qui sont déjà familiers de l’univers post-exotique. Avec les non-humains, les sous-humains, les Yburs ayant survécu au génocide et les vaincus, on évolue dans un monde dans lequel le lien social s’est rompu à jamais pour ne laisser place qu’à une lutte permanente faite de peur et d’oppression entre deux actes terroristes ou l’assassinat d’un quelconque dignitaire de la classe dominante. C’est comme toujours un monde qui ressemble au nôtre : comment n’y pas penser quand sont évoqués le fichage des pauvres qui vivent dans des barres d’immeuble, ou les camps de reformatage imposés par les dominants aux apatrides pour que ceux-ci s’intègrent plus facilement et qui rappellent furieusement ces tests républicains mis en place par le feu Ministère de l’immigration et de l’identité nationale et auxquels était conditionné l’octroi de la nationalité française ou d’une carte de séjour. Les discours débilisants sont aussi récités aux ONG qui viennent en aide à ceux qui acceptent les valeurs de leurs donateurs. Ce thème de l’ « intégration » par « adoption » des valeurs de la classe dominante est récurrent dans ce livre, trop pour que la dénonciation politique ne transparaisse pas ouvertement.

Rien que l’amour

Mais Danse avec Nathan Golshem ne frappe pas uniquement pour la ressemblance qu’entretient le monde post-exotique avec le nôtre et sa portée politique bien actuelle. Au-delà de la critique, il y a surtout le rassemblement de deux êtres qui, miraculeusement, fabriquent « encore et encore [leur] vie avec les déchirures de la vie des autres ». Toute la puissance du roman réside dans cette communion entre deux êtres à travers la vie, la mort et les rêves. Toutes les dimensions du post-exotisme sont mises au service de cet amour et toutes ses formes d’expression aussi : langage des morts, langage des vivants, rites chamaniques, danse, récits de tradition orale et ces longues énumérations qui évoquent tour à tour les insectes que deviennent les sous-humains brisés par la classe dominante et les crimes dont s’accusent les combattants dans leurs aveux quand ils sont pris.

La passion que met Djennifer Goranitzé à danser pour retrouver Nathan Golshem et la tendresse avec lequel elle le traite ; la douceur de celui-ci qui quitte le monde des morts et se réhabitue à celui des vivants pour vivre quelques lunes avec elle ; leur fidélité à tous deux. Mais aussi la manière avec laquelle, à travers leur amour, ils redonnent vie à tous leurs compagnons disparus. Tout ceci contribue à faire de Danse avec Nathan Golshem une des plus belles histoires d’amour qu’il m’ait été donné de lire et sans doute l’illustration la plus magnifique de la richesse de l’univers de la littérature post-exotique. En un mot, ce livre est un chef-d’œuvre.

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