mercredi 6 mars 2013

Viviane Elisabeth Fauville


Viviane Elisabeth Fauville

de Julia Deck

Une femme de son temps

Viviane Elisabeth Fauville. Parisienne. Carriériste. Mariée. La Quarantaine. Trompée. Enceinte. Divorcée. Dépressive. Comme tout le monde.

« Comme tout le monde », c’est ce que se disent les flics devant cette vieille jeune maman désemparée qui répond mal à leurs questions quand ils la convoquent à propos de l’assassinat de son charlatan de psy qui, comme tous les psys, la fidélise en répondant des « oui » mystérieux à chacune de ses confessions et la soulage de son argent depuis des années où elle se rend chez lui en cachette, comme son mari chez sa maîtresse. « Elle », c’est Viviane Elisabeth Fauville. Et Viviane Elisabeth Fauville, c’est vous sous la plume de Julia Deck, qui connaît bien le lectorat des Editions de Minuit.

Lesquelles Editions de Minuit réalisent une très bonne pioche avec ce premier roman rédigé avec une écriture sèche et déjà très Minuit, à couper au couteau comme on découpe un psy. Julia Deck nous balade dans Paris et la tête un peu fêlée de son héroïne, qui en est finalement moins une qu’elle n’apparaît comme l’égérie de la femme moderne, qui jongle constamment entre ses rôles de cadre supérieur, de mère, de femme au foyer, d’amante et surtout dangereusement avec la folie dans une société qui continue d’être dirigée par des psys, des patrons et des maris. Viviane Elisabeth Fauville nous interprète la complainte de la femme moderne tiraillée entre ses envies de meurtre et de tout envoyer valser. Et comme on la comprend !

A la fois farce sordide jubilatoire et tragi-comédie moderne, uppercut et coup de surin, c’est un roman de femme sur une société qui n’a d’égalitaire que le nom, et c’est un sacrément bon défouloir ! A lire !


lundi 4 mars 2013

Ascension


Ascension

de Ludwig Hohl

La montagne, ça vous gagne

Présenté comme le « chef-d’œuvre » de son auteur – pour autant que cela veuille réellement dire quelque chose dans le cas de Ludwig Hohl, Suisse allemand dont le reste de l’œuvre n’aura pas vraiment connu la postérité –, Ascension, petit roman ou longue nouvelle flirtant à plus d’un égard avec le récit, aura été remanié six fois entre 1915 et 1971 avant d’être finalement publié chez Gallimard en 1975, et enfin, dans la même traduction pourtant truffée de germanismes, récemment chez Attila, dans une très jolie édition : couverture en calque, papier épais et délicieusement satiné, dessins à l’encre de Chine d’un « spécialiste du noir et blanc » (Martin TomDieck) qui n’apportent pas grand-chose mais ont tout de même le mérite d’exister (ainsi que de multiplier la taille de chaque chapitre – et donc du livre – par deux)…

Avec un tel emballage et cet amoncellement de superlatifs, on serait presque en droit de s’attendre au pire ; on sera ravi de ne pas l’y trouver. Sans pour autant justifier son titre de « chef-d’œuvre » – ou alors seulement au sein de la bibliographie de Hohl – Ascension est un honnête récit d’alpinisme qui vous fera passer deux agréables heures de dépaysement. 

Là-haut, sur la montagne

Le récit nous transporte dans les années 1920 au cours desquelles deux alpinistes, Ull et Johann, entreprennent la susnommée ascension d’un glacier alpin. Assez rapidement, le lecteur comprend que c’est plus Ull que Johann qui a pris l’initiative de cette aventure, que c’est plus Ull que Johann – qui rien qu’en marchant encore dans la vallée semble vouloir attaquer la montagne au lieu de se laisser porter par elle – le vrai alpiniste de l’histoire et que, par conséquent, Johann fera machine arrière au premier réel obstacle et laissera Ull entreprendre l’ascension en solitaire. Même si les traits de caractère des personnages sont suffisamment grossiers pour nous rendre Johann tout à fait antipathique (en plus d’être lâche, il est ronchon, n’écoute personne et n’en fait qu’à sa tête), on ne pourra pas vraiment dire que sa décision surprenne : après tout, Ull avouera qu’il ne l’a fait venir que pour avoir un poids pour le retenir en cas de chute en marchant en cordée. Ce n’est pas très flatteur, et personne n’aime à jouer les faire-valoir, surtout lorsqu’il s’agit de mettre sa vie en danger.

Plaisirs solitaires

Ull est donc seul face au glacier et, à partir de là, le récit se change en une sorte de parabole sur l’abnégation et le dépassement de soi. Pas plus effrayé par les obstacles infranchissables qui se dressent devant lui que par la lourdeur de son texte, Ull entreprend la périlleuse ascension faisant fi de tout danger. Au gré de courts chapitres, le lecteur suit sa promenade non sans plaisir, profitant de quelques belles pages de descriptions des sommets glacés et enneigés. Bien évidemment, le commun des mortels (dont fait partie votre humble serviteur) passera très certainement à côté d’une bonne partie de l’œuvre qui trouvera plus d’écho chez les frères alpinistes de l’auteur. En effet, l’ouvrage est parfois un peu trop technique lorsque l’auteur décrit les prises qui sont à sa portée et la manière dont il gère son ascension, et surtout sa descente, encore plus périlleuse – peut-être une image ? le retour vers une réalité au ras des pâquerettes après avoir côtoyé les sommets au prix de tant d’efforts ? On aurait préféré en savoir plus sur les états d’âmes du grimpeur face à tant de solitude et d’immensité, que le texte embrasse complètement sa dimension de fable et laisse de côté le récit parfois un peu trop technique auxquels les néophytes risquent de demeurer hermétiques. Si l’on imagine bien la prouesse qu’est en train d’accomplir Ull, à moins d’être de la partie, elle nous laissera largement indifférents. Restent cependant quelques belles scènes, marquantes aussi bien pour l’immensité de ce qu’elles évoquent que pour leur façon de faire cohabiter le surpassement de soi et le danger, telle cette nuit passée en pleine montagne où Ull luttera contre les sirènes d’un sommeil qui pourrait lui être fatal. Une fin en jus de boudin – et forçant encore le trait sur l’opposition entre Ull, qui sera gratifié d’une fin à sa mesure, et Johann, ridicule jusqu’au bout – achèvera de laisser le lecteur en proie à certain scepticisme.

Au final, on aurait sans doute bien plus apprécié Ascension sans cette mise en page pompeuse et ses qualificatifs usurpés, s’il nous avait été présenté pour ce qu’il est, c’est-à-dire un court récit de beaucoup moins de 192 pages, largement imparfait et parfois abscons pour les non-initiés, mais qui offre quelques beaux moments dont on aurait tort de se priver. C’eut été moins vendeur, sans doute, mais le lecteur aurait certainement pris plus de plaisir à jouir de ce petit texte sans prétention sans s’être senti obligé d’y trouver à tout prix quelque chose qui n’y existe pas.